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Nous allons célébrer, en 2021, le bicentenaire de la mort de l’une des figures historiques, emblématiques et représentatives à l’échelle mondiale d’une épopée. Général, stratège militaire, homme d’État, Empereur, il aura façonné la France et l’Europe pendant près de 20 ans, tout en étant aussi l’inspirateur en profondeur de nos institutions contemporaines. La légende Napoléonienne, ciselée avec soin par son acteur principal, fait rêver.
Il ne s’agit pas, dans cette approche, de se substituer ou d’ajouter une analyse historique à une liste déjà longue mais de se focaliser sur son leadership, d’analyser ses composantes et son exercice tout au long des principaux moments de son histoire.
En tant que dirigeant du 21ème siècle, nous sommes confrontés au sujet du leadership pour nous-mêmes et nos collaborateurs.
Dans un monde en évolution rapide, changeant voire chaotique, porteur d’interrogations plus que de solutions, à l’identique de celui de la France sept ans après le début de la Révolution, nous nous questionnons sur la bonne direction et l’objectif vers lesquelles entraîner, avec sérénité, nos équipes.
C’est la raison pour laquelle, cette démarche se propose d’établir des parallèles entre la trajectoire d’une personnalité peu commune avec notre quotidien opérationnel d’entrepreneurs, dans ce qui reste, dans les deux cas, avant tout une aventure humaine porteuse de contradictions.
Elle s’appuie sur le modèle de leadership Aragorn développé par Lugh & Co qui structure des profils de leader sur une trajectoire d’évolution fondée sur l’utilisation de nos intelligences multiples.
L’une de ses principales composantes est l’individuation : processus de création et de distinction de l’individu. Pour reprendre la définition de Carl Jung, il s’agit de la « distinction d’un individu des autres membres du même groupe auquel il appartient »
Ce processus n’a rien à voir avec l’âge mais plutôt avec les événements qui ont marqué notre parcours de vie. Sa maturité dépend de notre propre prise de conscience de la structure de notre personnalité. Plus il est accentué, moins il est évolutif.
Dans notre mémoire collective, nous gardons cette image de Bonaparte qui franchit le pont d’Arcole portant le drapeau tricolore en tête des troupes dont le tableau peint par Antoine Gros restitue l’impression la plus forte.
Sans conteste, la figure d’un leader courageux et entraînant que ce Général de 27 ans incarne avec brio.
C’est un bon point de départ pour s’interroger sur la différence entre leader et leadership. Trop souvent une confusion existe, en effet, entre la posture d’un meneur d’hommes et la dimension réelle d’un leader.
En premier lieu, comment définir le leadership ?
Au sens large, il s’agit de fédérer et mobiliser les énergies autour d’une action collective. Elle présuppose que la majorité des membres du groupe reconnaisse un leader et lui délègue leur pouvoir de décider.
En l’occurrence, Bonaparte, jeune Général, nommé par le gouvernement révolutionnaire à la tête de l’armée d’Italie, ne possède aucun des prérequis d’un commandant en chef :
- Il n’a ni le physique : « Son extérieur, son costume ne nous séduirent pas, petit, maigre, fort pâle, avec de grands yeux et les joues creuses, des cheveux longs formant des oreilles de chien » comme le décrit un aide de camp lorsqu’il le vit pour la première fois.
- Ni la légitimité militaire : « Ce Corse n’a d’autre réputation que celle d’un bon chef de pièce (NB : Bonaparte est un artilleur de formation) ; comme officier Général, il n’est connu que des parisiens. Cet intrigant ne s’appuie sur rien » déclaration du Général Suchet, qui se trouve sous son commandement (il deviendra Maréchal d’Empire).
L’armée d’Italie, en ce début 1796, ne semble pas non plus la mieux qualifiée : « Armée au rebut, commandée par un Général au rabais, ne s’étant illustrée par aucune victoire retentissante » commentent les observateurs avisés.
Et pourtant… Bonaparte aussi habile dans la propagande que dans l’art militaire de terrain va, contre toute attente, causer la surprise. Avec génie, il va transformer une armée qui piétinait en machine de guerre offensive : en s’entourant des meilleurs, en améliorant l’ordinaire des soldats et surtout en créant une dynamique de succès.
« Soldats, vous êtes nus, mal nourris, le Gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner… Le courage que vous montrez est admirable mais ne vous procure aucune gloire… Je veux vous conduire dans les plaines les plus fertiles du monde… Soldats d’Italie, manqueriez-vous de courage ou de constance ? »
En 18 mois (de mars 1796 à décembre 1797), il crée le socle de sa propre légende en mobilisant toutes ses formes d’intelligences :
- Intelligence analytique : pour apprécier les forces et les faiblesses de son armée, la qualité et les manques de ses subordonnées, le rapport de force avec l’ennemi.
- Intelligence pratique : pour mettre en place les conditions du succès : stratégie, logistique.
- Langages verbalisés : pour dire la vérité sur la situation au gouvernement, à ses officiers et aux troupes. Engagement serein sur des objectifs.
- Intelligence émotionnelle : pour ne pas se battre pour les idéaux républicains comme citoyen mais comme soldat défendant un territoire.
- Intelligence sociale : pour créer une fierté d’appartenance à un groupe : « l’armée d’Italie » et savoir partager avec les troupes avec simplicité.
- Langage empathique : pour faire rêver.
Fin 1797, Bonaparte rentre à Paris pour Noël, laissant une situation maîtrisée, le traité de Campo-Formio signé met fin à la campagne d’Italie.
Son passage à la tête de l’armée d’Italie l’a révélé sans ambiguïté comme un leader militaire grâce à la maîtrise de sa zone de confort : confiance en lui-même, confiance en sa capacité à entraîner ses troupes et leurs chefs non seulement en fixant des objectifs opérationnels mais en leur donnant une vision.
Avec un courage managérial, il a su débarquer les médiocres et découvrir de nouveaux talents comme le Général Berthier qui le suivra, plus tard, comme chef d’État-Major de la Grande Armée et beaucoup d’autres encore. C’est à ce prix qu’il crée les conditions de l’alignement de ses postures avec ses convictions sans laquelle aucune confiance ne peut s’établir et un leadership s’exprimer.
En langage de coach, il a réussi sa prise de fonction. Il a entamé l’individuation de son leadership.
Sommes-nous certains, en tant que dirigeants, d’avoir su utiliser toute la palette de nos intelligences multiples à l’arrivée dans une nouvelle fonction ?
Bonaparte, sur ce sujet, se doit d’être inspirant. Nous en sommes convaincus, diriger est un art.
Au prochain épisode, le 18 Brumaire quand Napoléon Bonaparte est sorti de sa zone de confort.