Statue de Napoléon

[Portrait de leader – Napoléon] Episode #2 – comment Napoléon Bonaparte a su quitter sa zone de confort : le 18 Brumaire

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« Soldats, du haut de ses pyramides quarante siècles vous contemple… »

Nous sommes au milieu de l’année 1798, il y a un an, Bonaparte, Général au physique ingrat « Vous ressemblez à un chat botté mouillé » selon les termes de la future duchesse d’Abrantés à sa sortie de l’École Militaire, sans aucune légitimité sur ses pairs, a remis sur pied l’armée d’Italie, signé la paix avec l’Autriche, et le voilà maintenant en Égypte aux portes du Caire.

Mais, que fait-il là ?

Grâce à son excellence managériale et à ses capacités de meneur d’hommes, Bonaparte a pu obtenir, en 18 mois, des performances militaires hors du commun qui ont fait de lui un personnage qui compte dans le milieu politique parisien.

Son leadership a commencé son individuation, mais il est sans projet global. De fait, il s’ennuie.

Le Directoire manifeste le désir de l’écarter, lui rêve de gloire à la tête de ses hommes mais on ne lui propose rien de concret. Las, il prend un coach en la personne de Charles-Maurice de Talleyrand Périgord, ex-évêque d’Autun, de retour de son exil de quatre ans aux États-Unis, qui vient juste d’être nommé Ministre des Affaires Étrangères. Avec lui, il prépare son plan B.

Talleyrand lui suggère de s’intéresser à l’Orient. L’Égypte est tendance, comme on dirait aujourd’hui. Bonaparte a étudié le pays durant ses études, des savants imaginent des découvertes archéologiques et du même coup on gêne l’Angleterre.

Cet alignement de facteurs, ajouté au fait que le gouvernement est trop content de l’éloigner, facilite sa nomination à la tête d’un corps expéditionnaire de 40 000 hommes, de Généraux expérimentés comme Kléber qui débarquent à Alexandrie.

« L’expédition d’Égypte » n’est pas un franc succès : comme un symbole Aboukir est, à la fois, une défaite navale et une victoire terrestre.

Bien entendu, on retiendra Champollion et sa découverte de la pierre de Rosette, mais surtout des doutes sur le résultat global.

Cependant, avec habilité, Napoléon en enjolivera le récit, les peintres le sublimeront. Toutefois, il quitte en secret le pays après quatorze mois de présence, abandonnant ses troupes et ses rêveries orientales.

C’est le premier décalage entre ses postures et ses convictions. Il avait entraîné ses troupes avec ses propres aspirations à la gloire, il les laissent à un sort peu enviable… une première faille dans son leadership.

On le retrouve à Paris au début de l’automne 1799 après deux longs mois de navigation passés à éviter la flotte anglaise.

Talleyrand, son coach, Lucien son frère, durant toute son absence, l’ont tenu informé par notes et courriers de la situation politique en France.

En quittant l’Égypte, il joue son va-tout en décidant de forcer le destin, c’est en France qu’il a besoin de reconnaissance et de gloire.

Le délitement du Directoire favorise la prise du pouvoir, il faut le ramasser.

Pour réussir un coup d’État, il est nécessaire de réunir des juristes pour lui donner un parfum de légalité, des banquiers pour le financer et la force, armée ou policière, pour le contrôler. Tout ce joli monde se retrouve chez Joséphine de Beauharnais au centre du réseau complotiste.

Mariée avec le Général depuis quatre ans, Madame Bonaparte, a fait de sa demeure de la rue de la Victoire, à la fois, le cœur et le cerveau de l’action.

Pour la première fois, Bonaparte n’est pas en position de leader, même si son rôle est prépondérant, il doit s’imposer, en effet, à l’univers politique dont il n’est pas issu ce qui l’oblige à quitter sa zone de confort, c’est l’enjeu du 18 Brumaire (9 Novembre 1799).

Sieyès, l’un des rédacteurs de la constitution de la première République, est l’instigateur du complot, il cherche « un sabre pour sauver la révolution ».

La mécanique en est bien huilée : on fait siéger les assemblées à Saint-Cloud pour éviter un soi-disant complot royaliste. La capitale est bouclée par l’armée pour déjouer toute réaction de la foule parisienne.

Enfin, Bonaparte doit se rendre devant les deux assemblées pour les rassurer sur son attachement aux valeurs républicaines et à leur défense. Mais, tout ne se passe pas comme prévu. Dans les assemblées subsistent une forte opposition jacobine qui ne supporte pas l’idée d’une prise de pouvoir par l’armée quelle que soit la qualité du Général qui la dirige.

Les interventions de Bonaparte sont confuses et maladroites, on entend des cris de « A bas le dictateur, à bas le tyran ».

Des bousculades s’ensuivent, la situation devient chaotique, Lucien Bonaparte, Président de la chambre des Cinq-Cents, n’arrive pas à reprendre la main, son frère est exfiltré, soutenu par son ami d’enfance Bourrienne : « Sortons, Général vous ne savez plus ce que vous dites ».

Cette journée se termine en farce, les grenadiers envahissent les salles et Murat de conclure, dans son style inimitable « Foutez-moi tout le monde dehors ! ». Les députés s’enfuient par les fenêtres, Bonaparte rentre à Paris.

Dans la calèche qui le ramène, il grommelle à son frère « J’aime mieux parler à des soldats qu’à des avocats, ces bougres-là m’ont intimidé, je n’ai pas l’expérience des assemblées, cela viendra. »

Mécanique analytique brillant, Bonaparte a, cependant, manqué d’empathie. Dans son écosystème, il sait trouver les mots et les attitudes, mais en dehors, ne supportant pas la contradiction, il en devient maladroit et cassant. Sous la pression, il n’arrive pas à trouver la sérénité nécessaire à un discours rationnel et apaisé. Tous ces éléments ne favorisent pas sa sortie de sa zone de confort, ni l’expression d’un leadership abouti.

Un leader a besoin de followers et ce n’est pas par la coercition qu’on obtient une dynamique positive. En tant que dirigeants, méfions-nous des excès de confiance, de l’absence d’écoute et de challenge qui mènent à l’hypertrophie de l’ego.

Le lendemain, tout rentre dans l’ordre. On trouve les députés qu’il faut pour voter une nouvelle constitution, Lucien Bonaparte fait un discours brillant qui remet en selle le Coup d’Etat. Sur une idée de Sieyés, on crée à l’identique de la République romaine un consulat.

Bonaparte devient le Premier Consul, bientôt, il sera Napoléon, seul détenteur d’un pouvoir autoritaire dont il ressentira la solitude.

Dans la conclusion de sa déclaration du 19 Brumaire, soldat il est, soldat il reste : « Français, vous reconnaîtrez sans nul doute à cette conduite le zèle d’un soldat de la liberté… »

Les rapports de police constatent que cette proclamation a été suivie des cris de « Vive la république ! Vive Bonaparte ! Vive la paix ! » N’est-ce pas là le début d’une ambiguïté ?

Philippe SANTINI

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