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On entend régulièrement parler de leadership au féminin, et nombreux sont les organismes de formation proposant des modules sur ce thème. Ces derniers n’hésitent pas à surfer sur cette tendance qui part d’une bonne intention, celle de diversifier le top management et les Comités et Conseils d’Administration.
Au regard de ce contexte, il nous est apparu crucial de rappeler que les dimensions du leadership (s’exposer avec sérénité, montrer la direction, communiquer avec authenticité, transmettre de l’énergie, etc.) ne diffèrent pas selon le sexe du leader. Les poncifs qui consistent à véhiculer l’idée que les femmes auraient des postures de leadership différentes de celles des hommes n’ont donc pas de sens.
Nous partageons, ici, la conviction suivante : le leadership est asexué. Cela peut paraître évident, et pourtant, nombreux sont les acteurs économiques à tomber dans le travers de la sexualisation du leadership en attribuant aux femmes et aux hommes des qualités strictement distinctes au regard de leurs sexes.
Les travaux de la chercheuse Sarah Saint-Michel, relatés dans l’article du Monde ont largement contribué à réfuter les clichés : « Il n’y a pas de différence majeure entre les dirigeants hommes et femmes. Leurs traits de personnalité et leur style de leadership sont les mêmes. Le sexe n’est pas une variable pertinente. » Cette conclusion est issue d’une étude compilant les résultats de 25 enquêtes européennes et américaines sur les qualités attribuées à quelques 20 000 cadres dirigeants (dont 12 593 hommes et 7 016 femmes), complétés par une étude française.
Ces travaux montrent que les collaborateurs interrogés par questionnaire sur la manière dont ils sont dirigés ne font pas de différence entre les sexes. Ils perçoivent de la même manière leurs supérieurs hiérarchiques, hommes et femmes, que cela concerne le style de leadership (charismatique, basé sur une vision partagée, ou plus conventionnel, lié à l’obtention de résultats) et les traits de personnalité (courage, confiance en soi, empathie…).
Ces résultats battent donc en brèche l’idée d’un leadership féminin caractérisé par des compétences présupposées féminines, telles que la bienveillance ou l’altruisme, qui sous entendraient que les dirigeantes fédèrent leurs équipes différemment de leurs homologues masculins dont le leadership est généralement qualifié d’assertif.
Ces clichés sont, aujourd’hui encore, largement ancrés dans l’imaginaire collectif et, de ce fait, desservent les candidatures féminines à des postes à haute responsabilité (les femmes seraient moins ambitieuses, moins volontaires, …). L’étude menée par Sarah Saint-Michel* démontre que les dirigeantes sont des leaders comme les autres, malgré la prégnance de ces stéréotypes dans la société.
Cette étude souligne également, qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, les femmes leaders ont tendance à s’auto-évaluer en se conformant aux poncifs et en mettant ainsi en exergue certaines caractéristiques stéréotypées pour décrire leur pratique du leadership, comme le leadership participatif, la coopération ou encore la rigueur. Tout autant de caractéristiques qui ne sont pourtant pas perçues par leurs collaborateurs !
S’il existe bien différentes façons d’exercer son leadership, elles sont fonction de la manière dont les leaders perçoivent l’exercice de leur leadership – plus “féminin ” ou plus ” masculin ” – et de l’incidence de ces perceptions sur les attitudes de leurs collaborateurs dans l’entreprise. Précisément, un dirigeant qui se décrit lui-même comme étant plutôt féminin (bienveillant, à l’écoute) sera perçu comme déployant un style de leadership considéré comme féminin et suscitera auprès de ses collaborateurs un sentiment affectif envers l’entreprise.
A l’inverse, une dirigeante se décrivant comme masculine (autoritaire, combative) éveillera, quant à elle, un plus grand engagement de la part de ses salariés, un attachement important à la performance, et sera perçue comme adoptant une posture de leadership masculine, basé sur le “win-win”.
Une étude conduite dans les années 2000 aux États-Unis avait conclu à des différences plus directement liées aux sexes biologiques. Celles qui subsistent aujourd’hui, selon notre enquête, concernent pour l’essentiel les questions relatives aux conflits entre vie privée et vie professionnelle. Lorsqu’une dirigeante rencontre une difficulté dans sa sphère privée, ses collaborateurs auraient tendance à percevoir cela comme du détachement professionnel. Ressenti qui n’est pas partagé dans le cas d’un homologue masculin.
L’équilibre vie professionnelle/vie personnelle constitue donc, dans ce contexte, un aspect crucial dans l’intégration des femmes à des postes de dirigeantes. Nous sommes convaincus que l’égalité professionnelle, tous niveaux hiérarchiques confondus, n’aura lieu que lorsque le partage des tâches domestiques dans la sphère privée sera réel. Face à cela, les politiques et les RH ont un rôle important à jouer pour réduire, autant que possible, ces frictions.
A l’heure où le plafond de verre est toujours présent, à la fois dans les entreprises et dans la sphère politique, la question du leadership des hommes et des femmes est centrale. La présence de ces dernières dans les postes de direction est actuellement mise en avant au nom de compétences spécifiques qu’elles détiendraient. Mais cette observation biaisée risque, à terme, de mener à une impasse. Car, la présence de femmes à des postes stratégiques et de pouvoir s’explique par le simple fait qu’elles sont des leaders comme les autres, ni plus ni moins compétentes que les hommes pour diriger des entreprises.
Notre analyse soutient donc l’idée d’un modèle de leadership asexué, exempt de caractéristiques spécifiques liées au genre du leader concerné. Elle met en évidence le fait que l’égalité professionnelle ne naîtra que d’une évolution des mentalités quant à la légitimité des femmes au pouvoir.
*Sarah Saint-Michel, chercheuse au Centre de recherche en management de Toulouse (université Toulouse-I Capitole/CNRS), et auteure de la thèse : “L’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur leur style de leadership”, sous la direction de Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris-I Sorbonne.