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Pour les cinéphiles, vous l’avez sans doute reconnu, cela fait référence au titre d’un film de Wim Wenders – réalisé en 1972 – tiré du roman de Peter Handke qui met en scène le parcours existentiel d’un goal à l’issue d’un tir au but. Pour les footeux, cela rappelle qu’Antoine Griezmann a manqué en 2019 deux penaltys en quatre jours, contre l’Albanie et l’Andorre.
En football, le penalty représente « le » moment de vérité. Un face à face entre deux adversaires, avec, au pied du tireur, le ballon situé à 11 mètres du centre des buts et le gardien pour ultime rempart de l’équipe adverse.
Au fond des filets ou détourné, ou pire encore, hors cadre, le cours du match va changer. La tension est extrême.
De quel côté plonger, de quel côté tirer ? Les deux participants se concentrent, les biais cognitifs du tireur et du gardien s’entrechoquent, mais d’un point de vue statistique, 80% des penalties se terminent par un but !
Un tel basculement du destin ne peut que susciter l’intérêt des statisticiens pour l’optimisation des chances de succès du gardien. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Le biais de “l’erreur du parieur” appliqué au football
Tout d’abord, identifier le biais de « l’erreur du parieur » (ou gambler’s fallacy) qui présuppose qu’un nombre croissant d’événements répétitifs affecte nos choix comportementaux : par exemple, la sortie du noir 26 fois de suite au casino de Monte-Carlo le 18 Août 1913 a fait perdre des millions à des parieurs qui attendaient une sortie du rouge. Or, cette erreur de logique se fonde sur une supposée loi des séries alors que chaque événement est indépendant l’un de l’autre : à chaque tirage, le parieur possède 50% de chance de tirer le noir ou le rouge. Donc, il n’y a pas de suite cohérente sur une série limitée de tirs au but.
Dans le cas des matchs de football, sur près de 300 penaltys analysés, 49,4% des gardiens plongent à gauche et 44,2 % à droite, les 6,4% restant optent pour rester au milieu des buts. Et ce, alors que les tirs sont majoritairement à droite et que la meilleure chance de ne pas prendre le but est de rester au milieu dans 3 cas sur 10. Comme on le voit, la réalité observée n’est pas conforme à l’analyse chiffrée, pour la bonne raison que rester statique au milieu de sa cage donne l’impression aux supporters que le gardien n’est pas performant.
Les biais dans les prises de décision
Dans nos entreprises, à combien peut-on estimer le nombre de décisions prises qui sont fondées sur ce biais qui construit une erreur de logique fondé sur une loi des séries alors que chaque événement est indépendant l’un de l’autre ?
Si l’on mélange l’illusion des séries avec le biais de confirmation (c’est-à-dire la tendance d’une personne à préférer les éléments qui confirment plutôt que ceux qui infirment une hypothèse), on obtient un cocktail d’aveuglements et d’illusions qui mènent à l’échec.
Or, toute prise de décision mettant en jeu la tête, le cœur et/ou les tripes, est naturellement plus exposée à certains biais. Il s’avère donc utile de reconnaître les affects agissants en surveillant ces « organes » avant de décider.
De plus, en tant qu’individu nous ne sommes pas isolés dans nos prises de décisions, la psychologie sociale (phénomènes de groupe et de foule) apporte, elle aussi, un éclairage. Le biais cognitif est, selon les cas, exclusivement dû à l’individu, ou lié à la pression sociale qui s’exerce sur cet individu. Certaines techniques de persuasion, propagande et manipulation mentale cherchent à exploiter ce travers, comme l’a montré Gustave Lebon dans son ouvrage Psychologie des foules.
De toute évidence, il n’est pas facile de prendre la « bonne » décision pour garder le temps d’avance qui permettra à votre entreprise d’étendre sa pérennité. Pour y parvenir, il est donc nécessaire de s’assurer que les biais et les faits sont à la bonne distance les uns des autres afin de limiter les effets de notre système 1*, cette partie du cerveau qui fonctionne sans cesse dès que l’on est éveillé, et qui, par la rapidité et le nombre de décisions qu’il prend chaque jour, nous biaise régulièrement. D’autant plus que, comme le goal, ne pas plonger peut être perçu comme un immobilisme préjudiciable, alors que c’est le bon choix…
*Daniel Kahneman, Système 1 et Système 2, les deux vitesses de la pensée