Rideaux clos sur la scène de théâtre

[Article – épisode #3] Le Malade Imaginaire et l’analyse transactionnelle : l’efficacité du triangle de Karpman

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Pour ceux qui doutent des bénéfices retenus par le sauveur dans le triangle dramatique, observons encore Béline dans ses œuvres.

Nous avons vu Argan, fatigué d’être morigéné par Toinette, sauvé et consolé par Béline. Argan sous le charme, le sauveur peut avancer ses affaires.

L’honnête M. de Bonnefoy, notaire, bien préparé par Béline, se présente. Le notaire se refuse d’abord à l’opération qu’on devine, avant de proposer de nombreux et compliqués détournements. Voilà le droit brutal et le notaire, tout de ressources, en persécuteur.

“LE NOTAIRE. – Elle m’a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j’ai à vous dire là-dessus, que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament.
ARGAN. – Mais pourquoi ?
LE NOTAIRE. – La coutume y résiste (…)
ARGAN. – Voilà une coutume bien impertinente, qu’un mari ne puisse rien laisser à une femme, dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J’aurais envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrais faire.
LE NOTAIRE. – Ce n’est point à des avocats qu’il faut aller, car ils sont d’ordinaire sévères là-dessus, et s’imaginent que c’est un grand crime, que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes (…)
ARGAN. – Ma femme m’avait bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ?
LE NOTAIRE. – Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme (…). Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l’argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur.
BÉLINE. – Mon Dieu, il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.[1]”

Le butin acquis, autant conforter sa position…

ARGAN. – Mamie !
BÉLINE. – Oui, mon ami, si je suis assez malheureuse pour vous perdre…
ARGAN. – Ma chère femme ! »

Et voici Argan confirmé dans son scénario de vie : marier sa fille à un médecin et tout remettre à Béline en vue de paisibles vieux jours.

“LE NOTAIRE. – Voulez-vous que nous procédions au testament ?
ARGAN. – Oui, Monsieur ; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. Mamour, conduisez-moi, je vous prie.
BÉLINE. – Allons, mon pauvre petit fils.”

L’affaire avance bien pour Béline. Reste à éliminer Angélique de la succession. Voyons la manœuvre.

Présentée à Thomas Diafoirus, le fameux promis, Angélique se débat. Tenue à l’obéissance filiale, il s’agit de convaincre le fiancé qu’il n’y a pas de mariage sans assentiment mutuel. L’enfant libre Angélique s’incarne en timide Parent Normatif, pour raisonner Diafoirus fils, Enfant Libre tyrannique :

“ANGÉLIQUE. – Eh mon père, donnez-moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne, où l’on ne doit jamais soumettre un cœur par force ; et si Monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter elune personne, qui serait à lui par contrainte.
THOMAS DIAFOIRUS. – Nego consequentiam, Mademoiselle ; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur votre père.
ANGÉLIQUE. – C’est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu’un, que de lui faire violence.
THOMAS DIAFOIRUS. – Nous lisons, des anciens, Mademoiselle, que leur coutume était d’enlever par force de la maison des pères les filles qu’on menait marier, afin qu’il ne semblât pas que ce fût de leur consentement, qu’elles convolaient dans les bras d’un homme.
ANGÉLIQUE. – Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle, et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu’on nous y traîne. Donnez-vous patience ; si vous m’aimez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.
THOMAS DIAFOIRUS. – Oui, Mademoiselle, jusqu’aux intérêts de mon amour exclusivement.”

Sous l’abord d’un élégant dialogues d’Adultes, les transactions tangentielles de Thomas Diafoirus (vous accepter…, les anciens…) répondent aux propositions simples d’Angélique (maintenant…). Finesse de l’une, brutalité de l’enfant libre tyrannique.

Excusons Thomas Diafoirus : difficile de raisonner sur ce qui nous touche intimement…

Béline observait. Rêvant de mettre ses belles-filles au couvent pour mieux toucher au magot du malade, la revoilà en artiste du triangle dramatique.

Sauveuse d’abord : “Elle a peut-être quelque inclinaison en tête”, Argan de comprendre aussitôt qui est le bourreau “Ouais, je joue ici un plaisant personnage”.

Angélique reconnaissante renforce naïvement la position de Béline :

“ANGÉLIQUE. – Je sais, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi ; mais peut-être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés.
BÉLINE. – C’est que les filles bien sages, et bien honnêtes comme vous, se moquent d’être obéissantes, et soumises aux volontés de leurs pères. Cela était bon autrefois.”

Angélique poursuit son raisonnement, candidement, pour découvrir l’impitoyable bourreau derrière le sauveur :

“ANGÉLIQUE. – Chacun a son but en se mariant. Pour moi, qui ne veux un mari que pour l’aimer véritablement…
BÉLINE. – Je vous trouve aujourd’hui bien raisonnante, et je voudrais bien savoir ce que vous voulez dire par là.
ANGÉLIQUE. – Moi, Madame, que voudrais-je dire que ce que je dis ?
BÉLINE. – Vous êtes si sotte, mamie, qu’on ne saurait plus vous souffrir.”

Béline sauveur, mais pour autant que la victime réponde à ses plans. Et de laisser Argan conclure.

“ARGAN. – Écoute, il n’y a point de milieu à cela : choisis d’épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un couvent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien.”

Connaissant les dispositions d’Angélique, l’affaire est dans le sac, Béline peut s’éclipser.

“BELINE. – Je suis fâchée de vous quitter, mon fils, mais j’ai une affaire en ville, dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt. (…)
ARAGAN. – Adieu, mamie. Voilà une femme qui m’aime… cela n’est pas croyable.”

[1] Acte 1, Scène 7

Bérold COSTA DE BEAUREGARD

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